Ecole et guerre, par Aïssata (Tongo, Sierra Leone) - partie 1

"A l’école maternelle, on nous apprenait à chanter des petites chansons en anglais. En primaire, je crois que c’était un peu le même système qu’ici en France. On apprenait les mathématiques, on faisait des petits jeux… Moi j’habitais à même pas cinq minutes de l’école. En fait non, mon école était même collée à là où j’habitais. Il y avait environ 3 écoles dans chaque département. Mais moi j’étais à la plus grande école. Il y avait certains élèves qui faisaient l’équivalent du trajet de Bagnolet à Montreuil pour venir dans notre école parce que c’était la meilleure. Si tu passais ton brevet dans cette école, tu avais plus de chance qu’on te prenne au lycée parce qu’elle avait une bonne réputation et elle entraînait bien les enfants. C’était une école catholique. On devait chanter des chansons catholiques le matin avant d’aller en classe. Il fallait aussi dire les prières le matin avant de rentrer.  

Et puis quand il y avait un président qui passait à l’école, on l’accueillait. Ici ça ne se fait pas, mais en Afrique on fait ça. Dès qu’une grande personnalité arrivait, on faisait une grande ligne pour l’accueillir et suivre son arrivée. On chantait son nom, on choisissait certains élèves pour faire une représentation de théâtre… Et on choisissait deux ou trois personnes intelligentes, et on les formait pour ce jour-là. On les prenait un mois avant, et pendant tout ce mois, on les entraînait pour faire des discours et pour bien accueillir la personnalité. On leur apprenait les bonnes manières, la politesse, il fallait savoir dire « merci », « excusez-moi », « s’il vous plaît »… Lors de la visite, on laissait les enfants s’exprimer, faire le théâtre… On nous préparait bien pour ce jour. Surtout lorsqu’il y avait des élections, on savait qu’il y avait toujours des ministres dans le département. Et quand ils venaient dans notre école, à chaque fois c’est moi qu’ils choisissaient pour l’accueillir. On me demandait de donner des fleurs ou de l’eau. Et puis ils me posaient des questions et moi je répondais en anglais. En fait c’est parce qu’il y avait plusieurs ethnies là-bas : des sierra-léonais, des maliens, des malinkés, des peuls, des mendés… Donc chaque ethnie prenait une tenue différente et montrait sa culture et ses coutumes. A chaque fois moi je représentais les malinkés.

 

A l’école, tu devais toujours parler en anglais. En dehors de classe, tu devais parler créole. Après, arrivé à la maison, tu pouvais parler ta langue. Mais en classe, si tu ne parlais pas en anglais, tu devais payer une amende. Donc si tu ne savais pas le parler, il valait mieux te taire. Mais c’était bien car il faut apprendre à parler même un peu. C’était un autre temps. Là maintenant, je ne sais pas comment ça se passe.

 

J’ai été jusqu’en Terminale. J’ai fait mon bac en anglais. Je faisais l’économie, le commerce, les mathématiques, la biologie… Je n’ai pas réussi à avoir mon bac : il y avait 7 matières, moi j’en ai eu 5. Après il fallait que je repasse les 2 autres, mais ça trouvait que j’étais venu en France. Je m’étais mariée avant les résultats.

 

J’avais gardé mes cahiers et mes certificats de sport. Mais quand il y a eu la guerre en 1991, tout le monde a dû fuir. Donc ma famille n’a presque rien apporté. Il y en a certains qui sont restés là-bas jusqu’à la fin de la guerre, et il y en a qui sont rentrés chez eux dans leur pays. La guerre a duré trop longtemps. On ne devait pas s’approcher des frontières, les gens ne sortaient pas et restaient chez eux… C’était une catastrophe parce qu’on a eu beaucoup de parents qui sont morts. On a eu aussi beaucoup de gens à qui on a coupé les bras. Ils coupaient une partie ou tout le bras. Ils appelaient ça faire une « manche longue » ou une « manche courte »… Et puis il y avait les rebelles qui venaient à la maison sans raison et qui prenaient tout. C’était très très dur. Moi j’ai eu mes parents là-bas, ils sont restés et ils sont toujours vivants aujourd’hui. Lorsqu’on te raconte ce qui s’est passé, tu pleures. Ils venaient comme ça dans la maison, et si tu pleurais ou si tu parlais, ils te tuaient. Il y en a qui ont pu échapper et qui sont encore là. Mais il y en a beaucoup qui sont morts pendant la guerre.

 

La guerre a détruit le pays. Il y a eu beaucoup d’endroits, d’administrations qui ont été détruits. Il y a des gens pauvres qui ont mis des années à construire leurs habitations, et puis d’un coup ils sont venus et ils ont tout démoli ou ils ont mis le feu. Il y a vraiment des endroits où c’est triste. Moi, ce que j’ai constaté l’année passée, c’est qu’on ne voit plus de traces de guerre dans la capitale. Les gens ne sont pas tristes, il y a des activités, les gens continuent à faire leurs commerces, ils vont à la plage, ils dansent, il y a l’ambiance… Mais dans les villages, ça se voit qu’il y a eu la guerre. On voit encore les traces et les gens n’ont pas oublié. Il y a des choses qu’on ne peut jamais oublier."

 

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