Voyage de Gabou vers Paris, par Sekou (Gabou, Mali)

Sekou est arrivé en France à l'âge de 17 ans. Il a réalisé son voyage par les routes de migrants Maliens utilisée à l'époque, en passant par le Niger, l'Algérie et la Méditerranée.  

Souvenirs de Sekou

 

Quand je suis arrivé en 6ème, pour faire l'examen, il fallait quitter Goumera pour aller à Kayes. On faisait un examen pour passer de la 6ème à la 7ème. C'était comme pour entrer au collège. Quand j'ai fait cet examen, j'ai été le seul de Gabou à le réussir. Du coup mon père m'a dit qu'il fallait que j'aille en France. Parce que l'école à Kayes n'était plus obligatoire à partir de la 7ème. Du coup je pouvais abandonner. Pour mon père, l'aventure vers la France était plus intéréssante que l'école. Donc ils ont demandé à mon grand frère de me financer les frais de transport vers la France.

Je suis d'abord arrivé à Bamako. A l'époque, jusqu'à tes 15 ans, tu n'allais pas à Bamako. Tu ne connaissais pas la grande ville. Je suis arrivé pour la première fois à Bamako. Je me souviens d'avoir vu toutes ces lumières… Depuis la gare, un taxi m'a amené à Badalabougou chez ma tante Aya. Le lendemain matin j'ai vu tous les cousins de votre mère dans la grande famille. Je les regardais avec curiosité. Je ne les connaissais pas, c'était la première fois que je les voyais. Pour moi, c'était des jeunes de la ville avec leurs culottes et tout. Je les regardais avec admiration. Je les regardais de côté, jusqu'à être intégré dans le groupe. C'était le matin, ma tante m'a présenté aux autres. Elle leur a dit que j'allais en France. Ils ont dit « oh ces Soninkés, ils veulent toujours aller en France ! » Ils me disaient « Mais Sekou, tu étais à l'école et ça marchait bien, pourquoi aller en France ? ». Je ne les écoutais même pas.

Donc mon frère m'a envoyé l'argent des frais de transport. On a pris la voiture pour faire tout le trajet  jusqu'au Burkina, à Bobodjoulasso. Ensuite on a pris le train jusqu'à Ouaga. Puis on a pris la voiture jusqu'à Niamey. On a ensuite pris un camion pour aller dans le désert depuis le Niger jusqu'en Algérie puis jusqu'en Tunisie en car. Là je me rappelle encore. On est arrivés à la frontière algéro-tunisienne. Ils nous ont demandé si on avait de l'argent sur nous. On leur a dit que non. Ils nous ont tous fait descendre du car. Ils nous ont ensuite tous fouillés. Ils ont trouvé de l'argent et nous ont tout confisqués. Moi j'ai tellement pleuré. J'avais quoi, 16 ans à l'époque alors que les autres étaient des adultes. J'ai pleuré et pleuré. Un des douaniers a voulu m'aider. La gentillesse de ce douanier m'a toujours marquée. Ça l'a vraiment embêté de garder mon argent. Donc on nous a laissé repartir en transport, mais ils ont gardé l'argent.

On est arrivé à Tunis. Arrivé là, on a dit à nos parents où on était. C'est de là qu'ils nous ont envoyé nos frais de transport pour venir en Europe. A Tunis, on est allé dans un hôtel. On était une cinquantaine de personnes dans un hôtel et 4 ou 5 par chambre. Là-bas, ce sont des passeurs qui nous faisaient partir. Les passeurs, ça ne date pas d'aujourd'hui ! Ça se passait comme ça : un jour, d'un seul coup, on nous a dit qu'un passeur avait le moyen d'emmener les gens en Italie. Ensuite par l'Italie ils viennent en France. Il y a donc des gens qui ont donné de l'argent aux passeurs dès qu'ils ont appris ça. Moi, lorsque je l'ai appris c'était trop tard. Ils sont donc partis. Nous on est restés à l'hôtel.  Moi, mon grand frère m'a envoyé un billet d'avion Tunis-Paris. En disant que j'étais étudiant en vacances en Tunisie. C'est la première fois que je suis entré dans un avion. Je suis parti de la Tunisie pour venir à Orly. Je suis venu mais on m'a refusé parce que dans mon passeport c'était écrit que j'étais cultivateur. Mon frère ne le savait pas. Donc on m'a fait retourner à Tunis. Mais je me rappelle encore de cette première fois à Orly où j'ai vu les ascenseurs, les escalators… Entre temps, ceux qui étaient partis pour l'Italie sont revenus. Plus tard, on nous a dit à nous qu'il y avait des bateaux qui quittaient Tunis pour venir à Marseille. C'était par une autre voie que l'Italie. Donc moi j'ai pris mon billet pour le bateau. On est donc monté dans le bateau, et on nous a mis sous le bateau, dans les cales. Il y avait des contrôles de passeport, mais peut-être que nos passeurs y avaient fait quelque chose ou ils avaient trouvé un tuyau. Nous on est passé entre les mailles du filet. D'autres ont essayé de passer après nous, ils se sont tous fait refouler. On a voyagé pendant 2 jours, tout le monde vomissait. Ça m'a marqué. Tu marchais dans le vomi des gens. Tout le monde avait le mal de mer et vomissait sans arrêt.

Finalement on est sortis à Marseille. On était content d'être enfin arrivés en France. On a été dans un foyer qui s'appelait « Rue Dominiqué ». En fait c'était rue Dominique, mais on appelait ça « Rue Dominiqué ». C'était bien connu à Marseille. Je ne sais pas s'il existe toujours. Il y a donc des gens qui nous ont indiqué comment prendre le train pour venir de Marseille à Paris. On a donc pris le train Marseille-Paris. Là je suis allé au foyer du 13ème. Mon frère était content de me voir.

En tout, combien de temps ça a duré ? Je me rappelle, je suis arrivé à Bamako vers Février. J'y suis resté en Février, mars, Avril… Peut-être Mai. Et là le voyage a commencé.  Je ne sais plus exactement quand je suis arrivé en France, je mélange les dates. Soit je suis arrivé le 4 Juillet et j'ai commencé à travailler le 2 Août, ou bien je suis arrivé le 2 Juillet et j'ai commencé à travailler le 4 Août. En tout cas je suis arrivé début Juillet. On a donc mis plus de 2 mois pour faire la traversée du désert, la Tunisie…

Au foyer à Paris, on allait manger au foyer à Ivry. On y aller à pied, ce n'était pas très loin. Ensuite j'ai trouvé du travail à la Rhumerie. Plus tard, j'ai pu acheter une voiture, une Mini. Je me rappelle le midi, j'étais pressé d'aller la conduire. Parce que je travaillais tôt le matin. A midi j'allais au foyer. Mon frère, lui, il travaillait la nuit. Il commençait à 15h. Donc le midi on déjeunait puis je l’accompagnais en voiture. Lui il était fier en arrivant à son travail à l'hôtel Georges V. Il était fier de se faire déposer par son frère en voiture alors que les autres n'avaient pas le permis. A la fin du mois, je confiais ma paye à une personne du foyer qui gérait ma paye. Jusqu'à ce que ma paye devienne plus importante que la sienne. Alors je lui ai dit que j'allais gérer ma paye moi-même. Il est aujourd'hui rentré au Mali, au village de Banaya. De temps en temps il me demande de l'aide, je lui envoie un peu d'argent. Mais ce n'est pas souvent, par exemple c'est arrivé lors du Ramadan il y a 2 ans.

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Sekou est d'origine malienne et est arrivé en France à l'âge de 17 ans. Il est aujourd'hui père de 4 enfants. Il est gérant d'un restaurant à Paris et vit avec sa famille à Montreuil.

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